Le Père Castor a 90 ans !

C’était l’œuvre d’un libraire nivernais, Paul Faucher (1898-1967), qui avait adhéré à L’Éducation nouvelle en 1921. Lors du congrès de l’éducation nouvelle à Locarno, en 1927, il rencontra l’éducateur tchèque Frantisek Bakulé (1877-1957), marqué par les idées de Léon Tolstoï et habitué à travailler avec des enfants handicapés avec lesquels il avait monté une chorale.  En 1932, il fit la connaissance d’un autre éducateur tchèque, Ladislav Havranek (1884-1961).
Il épousa Lida Durdikova (1899-1955), une animatrice de l’Institut Bakulé, en 1932. Elle fut l’une de ses principales collaboratrices et écrivit la plupart des textes du Roman des bêtes, avec les illustrations de Rojankovsky (1891-1970). Lui-même écrivit quelques textes sous le nom de Paul François. Il reçut en 1962 le Prix européen du livre pour enfants.
À sa mort, leur fils, François Faucher, prit la relève de 1967 à 1996, écrivit quelques titres sous le pseudonyme de Natacha et lança des collections de romans en poche à la typographie étudiée pour correspondre à différents niveaux de lecture, qui comportait des traductions des pays de l’est.

 

“L’Heure joyeuse” et les premiers albums du Père Castor

Paul Faucher soumettait ses sujets, ses textes et ses images, aux enfants qui fréquentaient la bibliothèque de “L’Heure joyeuse”, ouverte depuis 1924. Son projet était soutenu par des intellectuels et des artistes : Paul Desjardins (1859-1940), professeur et journaliste, responsable des Décades de Pontigny ; Jean Schlumberger (1907-1987), un des fondateurs de la NRF ; Roger Martin du Gard (1881-1958) ; Brice Parain (1897-1971), le mari de l’illustratrice Nathalie Parain, un des principaux collaborateurs de Gallimard dont il dirigeait la collection “L’Encyclopédie”… À l’issue des Décades de Pontigny, Jean Schlumberger l’avait recommandé à Antoine Gallimard, dans l’optique de créer une collection de livres d’enfants chez cet éditeur, mais ce projet n’aboutit pas.

En 1931, parurent les premiers albums du Père Castor : format maniable, caractères typographiques très lisibles, différents niveaux de lecture, textes courts… des albums où l’image aide à comprendre le texte et le texte à approfondir la lecture de l’image.
Parmi les premiers titres, des livres d’activités comme Je fais mes jouets avec des plantes, Je fais mes masques, Je découpe, Masques de la jungle de Nathalie Parain (1897-1958), dans la mouvance du Bauhaus.
Parmi les auteurs les plus fidèles et les plus caractéristiques du Père Castor, Albertine Deletaille (1902-2008) avec Petit chat perdu, Marie Colmont (1895-1938) avec Perlette goutte d’eau, Michka, Marlaguette, Gerda Muller (1926-) avec Marlaguette, Jan de Hollande, Les bons amis

 

 

L’Atelier du Père Castor, “Les enfants de la terre” et “Le montreur d’images”

En 1946, Faucher créa au 131, boulevard Saint-Michel, l’Atelier d’outillage éducatif du Père Castor, laboratoire d’expérience et d’observations – certains dessins étaient recommencés plus de vingt fois, comme s’en souvient Gerda Muller. Cet atelier, qui rassemblait toute une documentation sur la vie des enfants dans le monde, aboutit à la collection “Les enfants de la terre” dans laquelle on pouvait se contenter de suivre l’histoire d’un enfant, mais on pouvait aussi, grâce aux différents niveaux de lecture assurés par des typographies et des cadrages différents, apprendre des tas de choses concrètes sur l’assèchement des polders, dans Jan de Hollande, la construction d’un igloo dans Apoutsiak de Paul-Émile Victor…
Pour les plus grands, il créa, avec le photographe Robert Noailles (1895-1968) et Jean-Marie Guilcher (1914-), la collection “Le montreur d’images” qui, bien avant Dorling Kindersley et la collection “Les yeux de la découverte” chez Gallimard, faisait usage de la macrophotographie pour montrer l’évolution de la graine à la fleur, de l’œuf à l’oiseau.

Pendant la seconde guerre mondiale, Faucher se réfugia, avec ses collaborateurs, dans sa maison familiale, à Forgeneuve, un hameau près de Meuzac, en Haute-Vienne, pour poursuivre ses recherches. Il y avait acquis une maison avec un moulin, au bord d’un étang. C’est l’origine de la Maison du Père Castor, médiathèque ouverte en 2006, avec un Centre de documentation et de recherche axé sur les archives du Père Castor, un verger pédagogique, un arboretum et un labyrinthe végétal, pour que les enfants puissent découvrir la nature comme l’avaient souhaité tant Paul Faucher que sa femme.

 

Si, dans sa volonté de créer pour les petits un univers sécurisant, il a quelque peu édulcoré des contes traditionnels comme La chèvre et les biquets, il a aussi écrit, pour La grande panthère noire et pour Quand Coulicoco dort, des textes parfaits, où chaque mot est en place, pour la joie des enfants et des adultes qui leur font la lecture.

Le Musée de l’illustration de Moulins a consacré une exposition au Père Castor en 2016-2017. En 2018, les archives et une partie des albums du Père Castor ont été classées au patrimoine mondial de l’Unesco, dans le registre “Mémoire du monde”.

 

Marie-Isabelle Merlet, ARPLE, novembre 2021

 

 

  • Marc Soriano, Les livres pour les enfants : interview de Paul Faucher, Amis du Père Castor, 1998
  • Les préfaces du Père Castor, avant-propos de Michel Defourny, Amis du Père Castor, 2005
  • Natalie Beau, Raconte-nous une histoire : pourquoi lire 80 classiques du Père Castor ?, Flammarion, 2016
  • Anne-Catherine Faucher (sa petite-fille), Paul Faucher ou l’aventure du Père Castor : une révolution éditoriale, Flammarion / Père Castor, 2021

 

Image : “La grande panthère noire”, Gouache de Lucile Butel (Flammarion, 1968)
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