Coup de projecteur sur Clémentine Beauvais

Le titre est tiré d’une citation de Philip Pullman : “Lire comme un papillon. Écrire comme une abeille.” Le sous-titre annonce bien la couleur. Outre qu’elle écrit des livres jeunesse, l’auteure est enseignante-chercheuse à l’université d’York et enseigne… la littérature jeunesse – qu’elle connaît manifestement bien, tant albums que romans ou BD – et l’écriture créative. Son texte est émaillé d’exemples (souvent très récents, mais pas que) qu’elle analyse.

Clémentine Beauvais pose en principe que la littérature jeunesse, définie par son lectorat implicite, est complètement distincte de la littérature adulte (et non “générale”), si bien qu’un lecteur adulte, si bon lecteur soit-il, ne sera pas forcément bon lecteur de littérature jeunesse, et qu’on peut dire que À la recherche du temps perdu est “un mauvais roman jeunesse” !
Elle en relève les spécificités : simplicité, qui n’exclut pas complexité ; intensité ; capacité à vivre de l’intérieur l’expérience de la nouveauté, car pour l’enfant, tout est nouveau ; nécessité de laisser une perspective d’espoir…
Elle évoque avec beaucoup d’humour le “plagiat par anticipation” : une intertextualité inversée, qui permet de reconnaître le regard d’Hitchcock dans une œuvre de Zola, et les nombreux cas où (comme pour les albums d’Anthony Browne ou de Claude Ponti), la référence précède la rencontre avec l’œuvre originale. Elle caractérise ce qui est humour ou poésie pour les enfants*.

Elle multiplie les distinctions utiles : une idée de départ n’est pas (encore) une intrigue, c’est-à-dire ce qui se passe (ça sert à continuer), ni un genre littéraire, ni une structure (ordre et rythme des événements). Elle montre l’importance de la forme choisie – qui parle, et comment. L’auteur ne la trouve pas toujours du premier coup et Clémentine Beauvais montre avec des exemples comment le même contenu prend vie quand on modifie la forme adoptée initialement.
Elle met en relief l’intérêt d’un narrateur peu fiable, comme chez Jon Scieszka ou Lemony Snicket ; l’intérêt d’un décalage entre style, forme et ton ; des procédés, dont le ‘cliffhanger’ (fin ouverte ou suspense final). De même que Christian Bruel, Clémentine Beauvais fait prendre conscience que tout a une dimension politique.

Elle passe avec maestria d’une langue parlée, émaillée d’onomatopées, de mots ou d’expressions écrits comme ça se prononce, à la Queneau, et de mots anglais (intelligemment traduits) à un langage universitaire, émaillé de termes techniques (expliqués), comme sémiotique, figures de style, etc.

Elle accompagne le lecteur-qui-voudrait-être-auteur jusqu’à l’édition – démarchage, corrections nécessaires. Elle aborde avec bon sens, de façon nuancée, l’épineuse et irritante question actuelle de la ‘cancel culture’.

Bref, un livre très vivant, riche, nourrissant, stimulant, parfois agaçant, mais globalement très plaisant grâce à l’humour qui l’irrigue sans modération.

Marie-Isabelle Merlet

 

* Citons en parallèle Coup de tabac de Terry Pratchett (Atalante, 2012), où le commissaire Vimaire lit et relit à son fils, le petit Sam, Where’s my cow ?, une histoire de cacaboudin dont il ne se lasse pas !

 

Clémentine BEAUVAIS
Écrire comme une abeille, La littérature jeunesse de la lecture à l’écriture
Gallimard jeunesse (2023)
447 p. 27,90 €

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