Hommage à Maurice Sendak

Maurice Sendak est l’un des “grands” de la littérature enfantine. Son Max et les maximonstres a marqué une date dans le domaine des livres d’enfants. Adopté d’emblée par les enfants, il a suscité quelques controverses chez les adultes lorsqu’il a paru.

Au lendemain de la mort de Sendak, une exposition a été organisée à New York. Il s’agit, dans le livre qui en découle*, de témoignages d’amitié.

J’en choisis quelques uns.

Justin Schiller, l’organisateur de l’exposition, évoque une amitié qui dura quarante-cinq ans et qui prit naissance quand il fit connaître à Sendak la collection d’albums animés de Meggendorfer, pionnier en ce genre, que son métier de libraire d’occasion et de collectionneur lui avait permis de constituer. Sendak admirait beaucoup Meggendorfer et faisait remarquer que les personnages de ses albums, ridicules au repos, se parent de grâce dès que l’animation prévue par son auteur les fait mouvoir. Il en fit l’analyse en 1975 et 1985 : on les retrouve dans Caldecott & Co (1988) qui réunit ses essais critiques sur les détenteurs de ce prix – la plus importante récompense décernée aux illustrateurs aux États-Unis.
Par la suite, Schiller aida Sendak à se procurer les œuvres majeures d’artistes anglais du XIXe siècle –  on reconnaît ce goût dans les illustrations de Sendak pour les Petit Ours de Minarik (1957-1961 pour les éditions américaines) et pour les petits albums de Ruth Kraus, qui se veulent résolument victoriennes. Il lui trouva des éditions originales de Melville, un des auteurs qu’il aimait, une lettre de Mozart, son compositeur favori, et la lettre de Grimm où se trouve le conte de Chère Mili, que Sendak allait illustrer en 1988. Il le mit en relation avec Peter et Iona Opie qui consacrèrent leur vie à collecter les nursery rhymes en Angleterre, et, comme la plupart des grands illustrateurs, Sendak en illustra.

L’éditeur Leonard Marcus analyse la “trilogie” – Max et les maximonstres (1963-1967), Cuisine de nuit (1970-1972) et Quand Papa était loin (1981-1984). Ce qui associe ces trois titres, c’est la force des fantasmes enfantins qui s’y déchaînent. Cela suscita la méfiance de Françoise Dolto ! Pour Sendak, l’enfance n’était pas un vert paradis : l’enfant n’était pas plus innocent que le “pervers polymorphe” de Freud. Surtout, au grand dam des adultes qui voudraient qu’il en soit autrement, il n’est pas et ne se sent pas en sécurité, dans un monde qui a connu l’enlèvement du bébé Lindbergh qui effrayait le petit Sendak quand il avait 4 ans en 1932, et la Shoah qui avait décimé sa famille, laissant sa mère incapable de s’occuper de lui. Toutes les histoires que lui racontait son père étaient des histoires d’enfants perdus. La maison était comme un cimetière pour l’enfant cantonné à la cuisine par la maladie.

Marcus rappelle le rôle d’Ursula Nordström, l’éditeur douée d’un jugement infaillible pour repérer les génies en herbe et qui, pendant une quarantaine d’années, mit les plus grands noms de la littérature de jeunesse au catalogue de Harper & Row. Elle lança Sendak, ne cessa de l’encourager, et le mit en relation avec Crockett Johnson, l’auteur d’Harold et le crayon rose, et Ruth Krauss, l’auteur d’Un trou, c’est pour creuser, qui devinrent ses mentors et ses amis.

Judy Taylor introduisit l’œuvre de Sendak en Grande-Bretagne. À partir de 1961 et tout au long de leurs années d’amitié, Sendak lui racontait ce qui se passait dans sa tête pour chacun de ses albums et elle prenait des notes ! Retenu à New York par la première de Brundibar à l’opéra, c’est elle qu’il choisit pour le représenter à Stockholm, en 1983, pour la réception de l’Astrid Lindgren Memorial Award, la plus haute récompense mondiale en littérature jeunesse après le Prix H. C. Andersen. En 1970, Sendak était le seul Américain à avoir reçu ce “prix Nobel” des auteurs pour la jeunesse pour l’ensemble de son œuvre. Taylor lui dénicha un texte de William Blake, un de ses auteurs favoris parce qu’il respecte les enfants, et l’édita à tirage limité, en 1967, avec ses illustrations. Elle l’accueillit quand il vint à Londres et eut l’occasion de lui sauver la vie quand, sonnant chez elle, il tomba à ses pieds ! Au lieu de se fier au diagnostic du médecin appelé en urgence, qui parlait d’indigestion, elle le conduisit à l’hôpital où l’on découvrit un problème cardiaque.

Directeur de l’Opéra de Houston, Frank Corsaro raconte leur collaboration autour de Mozart, Ravel, Tchaïkovsky, Humperdink. On sait l’importance de la musique pour Sendak, elle baigne toute son œuvre. Il y trouvait la solidité qui lui manquait, elle guérissait ses névroses.

Paul Zelinsky, l’illustrateur de Grigrigredinmenufretin et d’Hansel et Gretel, parle de Sendak comme d’un maître. Il fut son élève à Yale, pendant la brève période où Sendak y enseigna, et évoque le débordement d’informations et de commentaires, la manière dont il rendait attentif au rythme d’un livre, le fait qu’il traitait ses étudiants comme des collègues.

Parmi l’abondance des reproductions (croquis, études préparatoires, affiches, gravures, décors d’opéra…), la plus émouvante, celle où il représente ses parents qui venaient de mourir.
À travers ces témoignages se dessine le portrait d’un homme que son éducation, son enfance maladive et l’homosexualité qu’il dissimulait à ses parents, avaient rendu solitaire, mais qui fut doué pour l’amitié et qui fut un génie.

Aussi ne pouvons-nous que nous réjouir de l’initiative de Memo qui crée une collection “Trésors” pour mettre à notre portée, peu à peu, les inédits de Sendak ou les titres trop vite disparus, ainsi que des rééditions de l’École des loisirs.

Marie-Isabelle Merlet

 

* Le maxilivre : Hommage à Sendak, d’après l’exposition 2013 à la Society of illustration de New York, Ed. Leonard Marcus, trad. Agnès Desarthe, Little Urban, 2016.

 

Voir les analyses de La Fenêtre de Kenny ; Loin, très loin; Un trou, c’est pour creuser ; Petit Ours dans les suggestions de lecture.

 

 

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